L’appréciation du caractère motivé des réserves par les juges : opportunité pour l’employeur d’oblig
Très récemment, la Cour de cassation vient de confirmer sa jurisprudence établie quant à l’appréciation des réserves émises par un employeur à la suite d’un accident du travail déclaré par son salarié.
Dans cet arrêt du 4 avril 2019, la deuxième chambre civile de la Haute Cour (pourvoi n° 18-11778) a prononcé la cassation sans renvoi en jugeant :
« Vu l'article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale ;
(…)Attendu que pour rejeter ce recours, l'arrêt, après avoir relaté que par lettre du 14 octobre 2014, la société Moselis-OPH Moselle avait indiqué avoir été informée de l'accident par la victime sans qu'un témoin soit en mesure de confirmer ses dires, et avait de ce fait émis « les plus vives réserves sur la matérialité de l'accident », retient que l'employeur qui se contente ainsi d'une pétition de principe tirée de la seule absence de témoin n'émet pas de réserves motivées dès lors qu'il existe une concordance manifeste entre les faits décrits et la constatation médicale produite, que n'est invoquée aucune incohérence de temps ou de lieu ni incompatibilité avec les tâches confiées au salarié permettant de douter de la survenance de l'accident au temps et au lieu de travail ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'employeur avait formulé en temps utile des réserves sur la matérialité même du fait accidentel, de sorte que la caisse ne pouvait prendre sa décision sans procéder à une instruction préalable, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; ».
Ce qu’il faut retenir de cet arrêt :
En cas de doutes sur les circonstances de survenance du fait accidentel allégué par son salarié, l’employeur a tout intérêt à émettre des réserves quant à la matérialité dudit fait accidentel déclaré.
A cet égard, il est à noter que la jurisprudence interprète de façon extensive le caractère motivé des réserves que peut soulever l’employeur puisque suffit, la mention d’absence de témoin permettant d’établir la matérialité du fait accidentel allégué.
Les juridictions du fond ne statuent pas autrement et jugent suffisantes la mention de réserves sur la déclaration d’accident du travail, sans qu’il soit nécessaire de joindre un courrier détaillé reprenant les observations de l’employeur. Ainsi, récemment, la cour d’appel d’Amiens a jugé que la mention selon laquelle l’assuré « souffrait du dos depuis plusieurs mois déjà » constituait des réserves motivées (CA Amiens, 25/04/2019, RG N° 18/04737).
Aussi, il est essentiel pour l’employeur qui souhaite s’assurer de la véracité des dires de son salarié, de faire part de ses doutes à l’organisme de sécurité sociale. Ces réserves obligeront l’organisme de sécurité sociale à diligenter une instruction contradictoire avant de prendre sa décision. L’employeur comme le salarié seront entendus par le biais d’un questionnaire ou par voie d’enquête.
L’employeur, dont le taux de cotisation est impacté par les dépenses relatives à la prise en charge d’un accident au titre de la législation professionnelle est donc encouragé à se manifester par le biais de ses réserves. L’enjeu peut s’avérer important.
Il s’agit pour l’employeur de ne pas « accepter d’emblée » la décision qui sera prise par la Caisse en se fondant sur les seules allégations de l’assuré, mais de lui permettre de faire valoir ses observations au cours de l’instruction qui sera diligentée contradictoirement par la Caisse sauf à encourir l’inopposabilité de la décision à son égard puisqu’en effet, la sanction en cas de non respect de la mise en œuvre d’une instruction contradictoire est bien celle de l’inopposabilité.
A noter que si les réserves de l’employeur, pour être recevables par la Caisse, doivent être concomitantes à la déclaration d’accident du travail, ou à tout le moins, antérieure à la décision de prise en charge, la réforme qui entrera en vigueur au 1er décembre 2019 viendra offrir un délai plus confortable à l’employeur qui disposera de 10 jours calendaires pour formuler ses observations à la caisse (décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 relatif à la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et de maladies professionnelles du régime général).
A ce jour, la difficulté pour l’employeur était de tenir le délai légal de 48 heures pour déclarer un accident du travail à la Caisse et vérifier les éléments matériels corroborant les dires du salarié pour, le cas échéant, formuler des réserves.
Nous constatons en effet que la Caisse qui se montrait parfois d’une extrême rapidité, prenait en charge l’accident d’emblée, dans les quelques jours qui suivait la réception de la déclaration et avant même que l’employeur n’ait pu émettre ses réserves.
Le temps utile laissé à l’employeur pour formuler ses réserves pouvait se réduire considérablement en fonction des CPAM et de leur diligence.
Si les juridictions sont actuellement tolérantes, quant au contenu des réserves, au regard du court délai qui était laissé à l’employeur il conviendra d’être attentif à ce que cette réforme ne vienne pas durcir l’appréciation des juges quant au caractère sérieux des réserves.